Les élections communales annoncées pour l’année prochaine, entre mai et septembre 2015, ont quelque chose d’un peu plus particulier que d’habitude. Contexte politique oblige. D’abord, elles ont été retardées à plusieurs reprises, alors qu’elles devaient avoir lieu beaucoup plus tôt, ne serait-ce que pour être en conformité avec la nouvelle Constitution de 2011. En particulier la chambre des Conseillers, émanation des collectivités locales avec ses différents collèges territoriaux et professionnels. Une Chambre qui a été sérieusement revue et corrigée par le nouveau texte constitutionnel, dans ses compétences, ses prérogatives et sa représentation numérique ramenée à une fourchette de 90 à 120 membres. Est-ce à dire que tous ces édiles et autres conseillers ne sont, depuis 2011, que des squatters invétérés ? Pas vraiment, dans la mesure où la Constitution a pris soin de les laisser fonctionner jusqu’à leur remplacement.
Il n’en demeure pas moins que ce remplacement a beaucoup tardé. Pourquoi donc ? Tout se passe comme si cette échéance électorale suscitait quelques appréhensions. Les élections communales, c’est connu, sont une consultation de proximité. Le contact direct et très personnalisé entre le candidat et les électeurs, prime plus que toute autre considération idéologique ou partisane, surtout dans le monde rural. De plus, le mode de scrutin uninominal pour les communes de moins de 25 000 habitants favorise le vote sur les personnes plus que sur les idées et les programmes. C’est regrettable, mais c’est ainsi. Ces élections, aussi particulières soient-elles, restent tout de même l’affaire des partis politiques qui doivent présenter les profils adéquats et tenir un discours et des arguments persuasifs.
En fait, cette consultation électorale est bien plus décisive qu’il ne paraît, si l’on ne s’en tenait qu’au strict processus déclencheur de l’acte de vote. Car, il s’agit de l’organisation de la cité et de son impact structurant sur le quotidien de la population. En clair, une influence directe et programmée sur le mode de vie intra-muros. Pas moins. C’est à ce niveau précisément que tout se complique, dans le contexte actuel.
Dans l’arène des communales, les forces en présence paraissent moins ambiguës que d’habitude. Pour résumer, sans s’embarrasser de finasseries d’analyse, disons qu’il y a d’un côté le PJD et de l’autre, les autres eux-mêmes en concurrence entre eux. Le PJD, au référentiel religieux, entend faire de ces élections un moyen d’évaluation de sa capacité de pénétration au cœur de la société et de la résonnance de son discours au plus près des gens, au nom de l’Islam politique. Chez les autres, c’est surtout le PAM qui se propose d’empêcher cette incrustation islamiste par la voie des urnes. Il ne s’en cache que peu ou pas du tout, à tel point qu’il semble avoir été formaté pour cela.
Lors des précédentes Communales du 12 juin 2009, on a déjà eu un avant-goût de cette confrontation. Le PAM, qui venait d’être créé, avait remporté une victoire-surprise avec 21,7 % des sièges. Quant au PJD, même avec une 6e place, il était tout de même arrivé en première position dans les villes où le vote se faisait sur la base du scrutin de liste. Par la suite, à l’occasion de l’élection des membres des bureaux et des maires des villes, la rivalité déclarée entre le PAM et le PJD a donné lieu à des affrontements homériques ; le but étant d’écarter le PJD de la direction des grandes villes.
Toute chose étant par ailleurs égale, dit-on, nombre de similitudes concourent à faire le parallèle, un peu trop vite, entre le PAM et le FDIC (Front pour la défense des institutions constitutionnelles). Comparaison n’est pas raison, pour le simple fait que nous ne sommes pas dans le même contexte politique. Un bref rappel. Nous sommes au début des années 1960. Deux consultations populaires sont prévues, les Législatives et les Communales pour le 17 mai et le 28 juillet 1963. Le FDIC a été créé et programmé pour rafler ces deux mises électorales. L’UNFP et l’UMT, suivis par l’Istiqlal après quelques hésitations, optent pour le boycott. Le Maroc baigne dans la complotite. Arrestations massives dans les rangs de l’UNFP. Pratiquement seul en lice, le FDIC est gratifié de 90 % des sièges dans les municipalités et les communes rurales. Un certain Ahmed Réda Guédira, proche du Palais, ministre de l’Intérieur jusqu’au 5 juin 1963 et grand artisan de la carte politique devant l’éternel, dans la durée, est aux manettes.
Depuis, bien du chemin a été parcouru, mais des survivances et des réflexes persistent. L’apport d’un Hamid Chabat de l’Istiqlal et d’un Driss Lachgar de l’USFP étant électoralement aléatoire, le PAM peut-il faire barrage au PJD ? Peut-il empêcher les islamistes de faire main basse sur les villes et les douars ?
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION