Le 4 avril
Aujourd’hui avait lieu l’assemblée du Forum citoyen pour le changement démocratique (FCCD). Fort de sa diversité sociale et politique, sur la base du soutien au Mouvement du 20 février et à l’avènement d’une monarchie parlementaire, un des objectifs de ce forum est de faciliter le passage du Maroc d’une «communauté de sujets» à une «société de citoyens». Ce qui a retenu mon attention, c’est la déclaration fraîche et directe d’un jeune homme du «20 février», qui a avoué découvrir que des hommes d’affaires, des artistes, des politiques, hommes et femmes âgées, étaient porteurs, contrairement à ce qu’il croyait, d’idées et de volontés aussi claires et fécondes que celles des jeunes gens de son mouvement. Il en était heureux, et confiant pour l’avenir du pays.
Cette parole de jeune homme m’a fait immédiatement penser au philosophe allemand Karl Mannheim et à son concept de génération, qui ne renvoie ni au biologique ni au généalogique, mais à une identité collective, à un «nous» dont l’élucidation «se fait par l’analyse des liens entre formes intellectuelles et culturelles, et phénomènes sociaux». Ce «nous», en gestation dans notre pays, regroupe toutes les générations qui aspirent à une citoyenneté marocaine.
Le 7 avril
Impossible, en cette date, de ne pas évoquer le 7 avril 1947, tristement connu sous le nom générique de «dakkat saligane» (coup des Sénégalais). Ce jour-là Casablanca a été victime d’un carnage organisé par les services du protectorat français, pour perturber le voyage qu’organisaient les nationalistes pour le sultan Mohammed Ben Youssef à Tanger. La raison politique de l’époque a préféré ignorer le massacre pour ne pas «faire de l’ombre» à la portée politique du discours de Tanger (le 10 avril 1947). Du coup un schisme allait déchirer les milieux nationalistes, entre partisans de la résistance armée et de l’action politique. Les directions nationalistes de l’époque étaient ligotées par leur choix légaliste, pacifiste et internationaliste. Elles n’ont pas saisi le changement profond dans le rapport du peuple marocain à la colonisation. Elles en ont payé le prix, malgré leur bonne foi. De même aujourd’hui, il me semble que c’est en toute bonne foi que beaucoup de cadres politiques, foncièrement démocrates et aspirant, eux aussi, à l’éclosion d’une citoyenneté marocaine, sont enchaînés à des démarches politiques rendues caduques par les derniers événements. La réserve, voire la méfiance vis-à-vis des «jeunes du 20 février» risque de les marginaliser, et même de les fossiliser. Alors, Mesdames, Messieurs, libérez-vous, le Maroc de demain peut avoir besoin de votre expérience… affranchie !
Le 22 avril
Membre de jury d’une thèse de doctorat, «Rituel politique, essai sur la Fête du trône au Maroc (1933-1956)» préparée par Fatiha Kassadi sous la direction de mon ami Hassan Rachik, je me suis arrêté sur deux choses. Premièrement, le thème innovant et ouvrant la voie à une nouvelle discipline dans l’espace universitaire marocain : celle de l’anthropologie historique. Son développement permettrait non seulement de libérer les chercheurs de leurs carcans disciplinaires, mais surtout de faire fructifier un nouveau champ de sens. Deuxièmement, l’évocation dans la thèse du premier hymne national du Maroc, composé en 1933 par le Fqih Mohammed El Qorri (lire portrait dans ce numéro). Les jeunes de l’époque ont créé une fête profane, instituant le sultan Sidi Mohammed en roi civil. Les paroles de cet hymne tombé dans l’oubli sont tellement parlantes aujourd’hui, que j’en livre ma traduction : «Le Roi de la patrie est de ces jeunes à prouesses / Les jeunes du peuple se reconnaissent en cette noblesse / Le peuple, c’est les jeunes, déclamez-le dans la liesse / Déclamez que les jeunes guident le pays avec justesse». Oui, le pays a vraiment besoin d’une justesse de vue…
Le 24 avril
Casablanca a de nouveau marché vers la citoyenneté. Au-delà du nombre, un fait : le peuple de Casablanca était dans la rue. Ses générations entremêlées. Ses sensibilités politiques et culturelles en «communion». Ses jeunes au four et au moulin. Rythmant la marche, scandant les mots d’ordre, formant les chaînes humaines, et sécurisant les bâtiments publics et privés. Une véritable démonstration de maturité et d’esprit civique, mais… Oui, il y a toujours un «mais». C’est la date-butoir de juin. Un Maroc nouveau est en train de naître. Il est encore balbutiant. Les peurs sont en train d’être dissipées. Le nouveau pacte national ne naîtra qu’au terme de ce processus social, politique et culturel. Le chemin vers «l’Etat civil» et la «monarchie parlementaire» est sinueux. Sa traversée nécessite des ralliements négociés où le dialogue est roi. Le pays a besoin d’un véritable débat national, et non d’un défoulement qui donne l’impression d’un échange, alors que ceux qui décident vraiment n’écoutent qu’eux-mêmes, et pensent peut-être écouter la conjoncture par la ruse et l’illusion. Les générations citoyennes du Maroc aspirent à un grand débat national, à une participation effective à l’élaboration de la nouvelle constitution marocaine. Cela passe par une large discussion de la copie que rendra la commission royale, de ses amendements éventuels. Il ne faut présenter au référendum qu’un texte qui soit fruit d’une large concertation. Une belle perspective, qui ne sera l’œuvre que d’une force civile. Celle-ci est en gestation, et elle a besoin de temps. Si on précipite les choses, la montagne risque d’accoucher d’une souris. Alors, laissons du temps au temps !
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane
Intéressé par l’Histoire du Protectorat, j’aimerais en savoir davantage sur l’événement que vous évoquez : 7 avril 1947 « dakat selegal » Pourriez vous guider ma recherche ? quel ouvrage consulter?
merci